Ayant trouvé l’inspiration de ce récit dans celui de La Belle au Bois Dormant, je trouve utile de revenir un instant sur le conte d’origine.
Avertissement: la version présentée ici mélange sans doute et sans complexe l’histoire des Frères Grimm, celle de Charles Perrault, celle de Walt Disney et un certain nombre d’autres variantes glanées au fil de mes lectures, le tout revu et corrigé à la lumière de mon expérience de mère et de grand-mère.
La voici:
En oubliant de l’inviter au baptême de sa fille, un roi bien étourdi attire sur l’enfant les foudres d’une fée (ou d’une sorcière, c’est selon) qui jette un sort à la princesse: arrivée à l’âge adulte, la jeune fille se blessera à mort avec un fuseau.
Heureusement et in extremis, une jeune fée (pas tout à fait à la hauteur, mais la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a) parvient à transformer cette mort tragique en un long sommeil.
Pensant protéger sa fille, le roi interdit que l’on file dans le royaume et fait détruire quenouilles et fuseaux. Mais le stratagème échoue, la princesse se blesse et s’endort.
Cent ans plus tard, un prince, charmant sans doute, mais surtout très curieux, finit par découvrir la princesse au milieu de son nid de ronces infranchissables (sauf pour lui) et il la réveille d’un baiser.
La vie reprend comme si de rien n’était, apparemment, et le conte s'achève sur l’inévitable : ils vécurent heureux et eurent…
Au fil du temps, des rencontres et des besoins, mon interprétation du conte a évolué. Quand j’écrivais l’histoire Le Fuseau, voilà comment je voyais la chose:
Plutôt que la grande méchante, j’envisageais la sorcière comme mentor, avec pour mission d’initier la princesse au monde adulte et de la guider vers la maturité.
Ce père, qui « oublie » de l’inviter dans la vie de sa fille, préférerait sans doute que cette dernière ne grandisse pas, ce qui lui permettrait de la garder pour lui, enfant, aimante et dépendante.
Il ne comprend pas qu’en l’empêchant d’apprendre à manier le fuseau, il refuse à l’enfant qu’il prétend aimer le droit de vivre sa vie de femme.
Mais ajoutons, à la décharge de ce roi, que, si nous allions fouiner dans sa biographie, nous trouverions sans doute les raisons de cette attitude: comme l’ont fait ses parents et le reste de sa lignée avant lui, il fait ce qu’il peut avec ce qu’il a!
En tout état de cause, il ne s’agit pas de regretter ce qui aurait pu être, mais de faire au mieux avec ce qui est. C'est-à-dire, dans ce cas précis, un père pesant et peu clairvoyant.
Or, si notre princesse ne peut s’affranchir de cette lourde tutelle, c’est une mort réelle qui la guette, la mort de ce germe d’existence qu’elle seule, émancipée de toutes influences extérieures, peut et veut faire s’épanouir dans le monde.
La sorcière a raison d’être en colère contre ce père “fillophage”, contre cette tentative d’infanticide et elle a raison de venir annoncer cette mort.
Sans sa venue, cela risquait de passer inaperçu. Or, un homme averti en vaut deux et, dans ce cas, un malheur pressenti, un danger identifié, un avertissement pris au sérieux permettra d’éviter le pire… juste le pire, ce qui est souvent le mieux que l’on puisse faire. La sentence est allégée, un peu, la vie et l’espoir préservés, au ralenti… car cent ans, c’est quand même long.
Mais s’endormir enfant et se réveiller femme, adulte, reine? Même au bout de cent ans?
D’accord, le sommeil n’est pas cet espace vide, ce ‘rien’ nocturne qui fait pendant au ‘tout’ du jour et de l’éveil. Mais quand même, je trouvais que l’histoire passait un peu vite sur une telle transformation.
Dans les mystères antiques, l’initiation est décrite symboliquement comme une mort suivie d’une renaissance, mort qui prenait en réalité la forme d’un sommeil induit, d’une période de transe ou de réclusion… ce qui ressemble étrangement à ce que vivent un grand nombre de nos princesses de contes de fées qui se retrouvent régulièrement enfermées au fond d’une caverne, d’un puits ou d’une cabane au milieu des bois, avec ou sans une demi-douzaine de nains ou de brigands qu’elles se voient obligées de servir.
Dans le cas de La Belle au Bois Dormant, voilà qui donnait un sens à ce sommeil intempestif et démesuré qui m’avait chagrinée toute mon enfance.
On dit qu’on écrit les livres que l’on voudrait lire. J’ai écrit l’histoire que je voulais qu’on me raconte, j’ai imaginé ce qui se passait pendant qu’on nous faisait croire que la Belle au Bois Dormant … dormait.